Art & Culture // Rencontres

Berthet One : parcours fulgurant d’un jeune de banlieue

30 juin 2018 //

À l’occasion de l’exposition « 22H22 » aux Mains d’Œuvres de Saint-Ouen (93), rencontre avec BerthetOne, un des artistes exposés. J’avais fait sa connaissance lors de l’exposition « Générations graffiti » à l’Espace Art et Liberté de Charenton. Rendez-vous fut pris pour une interview aux Mains d’Œuvres.

Berthet One a un parcours pour le moins atypique. Originaire du Congo et aujourd’hui âgé de 41 ans, il a grandi en banlieue, précisément à La Courneuve (Seine-Saint-Denis 93), et s’est très vite passionné pour le dessin.

« Je suis de la génération Club Dorothée. C’est grâce à Cabu que je me suis mis à dessiner à l’âge de six ans en l’imitant au début. Mais quand on grandit dans un quartier il arrive souvent - pas toujours heureusement - qu’on manque de confiance en soi, qu’on se dise qu’on n’est bon qu’à casser des voitures. Du coup, je suis parti dans le mauvais chemin. »

Pourtant, il reconnaît que ses parents lui ont inculqué des valeurs, à lui et à ses frères et sœurs. Ceux-ci ont d’ailleurs suivi le droit chemin. Un de ses frères est aujourd’hui banquier et une des ses sœurs travaille pour une compagnie pétrolière.

« On ne roulait pas sur l’or, mais on n’était pas non plus en mode Cosette ! J’ai regardé l’environnement dans lequel je vivais et je me suis dit : « Nan, je veux des sous, maintenant ! ». Alors j’ai fait des bêtises qui m’ont conduit à prendre dix ans de prison à l’âge de 29 ans. Et c’est en prison que je me suis dit « Berthet, tu vaux mieux que ça ! ».

"Regarde le don que tu as ! Si on était à ta place, on serait pas en prison"

Il décide alors de reprendre ses études en prison. Il passe un BAC et un BTS. Mais il lui arrive de s’ennuyer en cours et alors sa passion du dessin le reprend. Son talent se remarque et en prison on lui dit : « Regarde le don que tu as ! Si on était à ta place, on serait pas en prison, on aurait travaillé, on aurait fait quelque chose ».

« Mais ces phrases, je les avais déjà entendues. Je me souvenais de mes profs quand j’étais gamin et qu’ils me demandaient : « Et toi, Berthet, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » Moi, j’aimerais bien être dessinateur. Et ils me répondaient : « Choisis plutôt un vrai métier » !

Mais en prison, il n’a plus le choix, il se remet au dessin en pensant qu’il va s’en sortir grâce à sa passion. Il se lance alors dans une bande dessinée qu’il va appeler « L’Evasion ». Non qu’il pense s’échapper de la prison en hélicoptère…

« L’évasion était mentale, en fait. Avec le dessin, je baissais la tête, je plongeais dans mes dessins, et quand je relevais la tête, sept heures avaient passé. Je m’étais évadé. »

« Ce mec cartonne et pourtant il vient de banlieue, il sort de prison et il est Noir ! »

Quand il sort de prison, il lui arrive quelque chose d’extraordinaire : on lui propose une exposition, sa toute première exposition, et pas n’importe où, dans une galerie de la rue Saint-Honoré. Il y expose les planches de ses BD et des dessins faits en prison.

« Mes dessins étaient humoristiques, satiriques. J’étais très influencé par le style de la revue Fluide Glacial. Du coup, ça a intéressé les gens et mon exposition a cartonné. Mes dessins se sont vendus à 1.500 euros. J’ai fait des plateaux de télévision, des rencontres, comme avec Karl Lagerfeld ou avec Pascal Legitimus qui me soutient beaucoup dans mon parcours. Les médias se sont intéressés à moi : « Ce mec cartonne et pourtant il vient de banlieue, il sort de prison et il est Noir ! » En fait, tout ce qui paraissait négatif, je l’ai retourné en positif, comme dans l’aïkido. À ce moment, j’ai compris qu’on se faisait rouler dans les quartiers. On nous fait croire qu’on est bons à rien, alors qu’en fait on est doués, on est créatifs. Il serait temps de faire quelque chose ! »

Alors l’idée lui vient de bien s’entourer. Il crée autour de lui un petit staff avec manager, avocat, etc. Il s’est dit « Je suis personne, mais je vais faire comme si j’étais quelqu’un, un grand monsieur du dessin ». Il prend modèle sur des amis rappeurs qui ont su s’organiser en s’entourant.

« Quand on voulait me proposer quelque chose, je disais « Voyez mon manager ». Quand on me proposait un contrat, je disais « Voyez avec mon avocat ». Les gens se sont dit "C’est une organisation, c’est quelque chose, c’est un grand monsieur" alors qu’en fait j’étais un petit jeune de quartier qui venait de sortir de prison ! »

Il décide alors de monter une association, Makadam, qui a deux missions principales. La première est de faire de la prévention et de la réinsertion par l’art :

« Avec mon réseau d’artistes, on intervient dans les écoles, les prisons, les maisons de quartier, dans les médiathèques, etc. C’est mon activité aujourd’hui. Je fais des partenariats. Le premier a été avec le ministère de la Justice...! C’était marrant, moi qui ai fait de la prison, eh bien c’est eux maintenant qui me sollicitent. J’ai trouvé ça cool en fait. »

"Je ne veux pas seulement parler aux banlieusards, je veux parler à un maximum de personnes pour montrer ce que l’art peut apporter de positif."

Le deuxième objet de son association est d’amener l’art où il est difficile d’accès, dans les quartiers mais aussi dans les zones rurales.

« Souvent on pense qu’à la campagne avec les champs et les petits oiseaux, c’est cool. Mais non, il y a les mêmes problématiques que dans les banlieues, voire même pire. Je ne veux pas seulement parler aux banlieusards, je veux parler à un maximum de personnes pour montrer ce que l’art peut apporter de positif. »

C’est ainsi qu’il est entré en contact avec Loumy, une professeure d’art appliqué de Lens, une ville difficile, où il a fait la connaissance d’une jeune fille de quatorze ans qui est selon lui un véritable Picasso.

« Voilà, c’est mon but : créer des liens, repérer des pépites, et si je peux les présenter à d’autres personnes, j’en suis très heureux. Je suis quelqu’un qui connaît la vie de banlieue, mais je suis aussi quelqu’un qui, grâce à mes parents et à l’école, a reçu une bonne éducation, sait lire et écrire. Je peux très bien parler avec un monsieur en costume cravate qui a soixante-dix ans, tout comme je peux parler avec le petit jeune de quatorze ans qui vient d’un quartier. Mon but, c’est que ces deux mondes se rencontrent. »

"Je ne veux pas être seulement l’artiste qui sort de prison, je suis un artiste tout court."

Aujourd’hui la vie de Berthet One est bien remplie. Sa première BD a bien marché. Il en a sorti une deuxième. La première est aujourd’hui adaptée au cinéma. Il a plein de projets en tête, surtout créer des BD qui s’adressent aux enfants, parce que sa première se passait en prison. Il veut aller plus loin.

« Je ne veux pas être seulement l’artiste qui sort de prison, je suis un artiste tout court. Il faut que j’essaie de poser sur le papier tout mon univers. Mon univers c’est aussi parler aux enfants, aux jeunes, aux personnes âgées, etc. Et pas seulement parler de la banlieue. Et donc aujourd’hui j’ai plein d’autres sujets. Puis j’ai signé pour 30 épisodes en dessin animé d’une BD que je suis en train de créer en ce moment. »

Autre évolution dans sa vie : les toiles. Il a repris le graffiti il y a quelque temps et on l’a vite poussé à créer des tableaux. Alors, il s’y est mis. En trois mois, il en est à son cinquième tableau. Mais ce qui le freinait jusqu’à présent c’était l’absence d’atelier. C’est maintenant chose faite, grâce à un lieu mis à sa disposition gratuitement par une commune voisine.

« Maintenant, j’ai un endroit où je peux faire des grands tableaux. C’est parti ! Je vais enchaîner les toiles, je vais m’éclater et puis j’espère que dans les jours à venir je proposerai une exposition où il n’y aura que des tableaux. Ce serait une grande première. Donc ce que je fais en ce moment, je suis en train de m’exercer. »

On ne passe pas facilement du dessin ou de la planche de BD à la toile, ou même de la rue à la toile.

« C’était une envie que j’avais mais en même temps une peur. J’ai la maîtrise du posca, du stylo, etc. Là on est sur de la bombe, même si je connais un petit peu l’objet, ça fait longtemps que j’ai peint. Je me suis remis à faire des murs ces temps-ci et je commence à sentir que ça vient. Les tableaux, c’est un autre univers, c’est plus petit et en plus je n’ai pas envie d’arriver et d’être la énième personne qui fait le énième personnage. Donc, je me suis demandé : qu’est-ce que je vais pouvoir faire ? »

"Qu’est-ce que je suis moi ? Eh bien, je suis un jeune Français originaire d’Afrique, qui en plus est un banlieusard qui aime le hip-hop. Il faut que tout cela se voie dans mes tableaux."

Au départ il s’est entraîné à faire des personnages mais en y réfléchissant il s’est dit qu’il fallait qu’il donne davantage de lui-même.

« Qu’est-ce que je suis moi ? Eh bien, je suis un jeune Français originaire d’Afrique, qui en plus est banlieusard qui aime le hip-hop. Il faut que tout cela se voie dans mes tableaux et l’Afrique m’a fait penser aux couleurs, aux odeurs, aux chants, à la façon de s’habiller en Afrique. Les tissus là-bas sont des œuvres d’art en eux-mêmes. Le wax (tissu) est représentatif de l’Afrique. Alors j’ai eu envie de mettre du wax dans mes tableaux. Je me suis dit je vais faire d’une pierre deux coups, je vais payer de ma personne et mettre de la couleur. Mais il ne faut pas que ce soit que ça, il faut aussi que je mette mon côté Français, moi qui suis un amoureux des mots, qui écris des BD. Donc, dans ma peinture je vais aussi y mettre des punchlines, des petites phrases percutantes. Je voulais donner autre chose et donc je me suis essayé et ça me plaît bien, c’est un premier essai. »

Il envisage même de mettre des masques africains dans ses prochaines œuvres. Il a ouvert son champ, il veut sortir du graffiti, de sa zone de confort, et tenter de nouvelles approches. L’une de ses toiles reprend un graffiti que j’avais vu dans le quartier du Lavo//matik à Paris 13.

« Oui, je l’ai repris parce que je le trouvais pas mal [rires] et je voulais le faire un peu autrement. En plus, je savais qu’au Lavo//matik il allait vite être effacé ! Le côté éphémère en graffiti n’a pas que des avantages ! Donc, je me suis dit que j’allais le faire en toile. »

En plus du Club Dorothée, Berthet One puise son inspiration chez un auteur de BD, Édika. Il a grandi avec la série Les Lascars (série télévisée d’animation) diffusée par Canal Plus dans les années 90. El Diablo, le créateur de la série, fait partie de son équipe. Avec lui et Ismaël, il co-écrit pour le cinéma.

"Je vais utiliser les codes que je connais, les codes du hip-hop où derrière notre pseudonyme on met « One ». Ça veut dire qu’on est le premier…"

Et son blase, Berthet One ?

« Berthet c’est mon vrai prénom. Je m’appelle Berthet One justement parce que je fais de la BD et dans la BD il y a déjà un créateur très connu, Philippe Berthet, qui a travaillé pour Spirou. C’est un ancien, un vieux routard, hyper coté, hyper connu ; c’est génial ce qu’il fait. Je ne voulais pas communiquer avec mon nom de famille dans la BD alors je me suis dit je vais m’appeler Berthet. Ah mais mince ! Il y a déjà un Berthet ! Qu’est-ce que je vais pouvoir faire ? Je vais utiliser les codes que je connais, les codes du hip-hop où derrière notre pseudonyme on met « One ». Ça veut dire qu’on est le premier… »

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