Un jour de mai 1971, je vais voir le film d’Edouard Molinaro Les Aveux les plus doux. Le chantage sexuel auquel se livrent les deux policiers (Philippe Noiret et Roger Hanin) sur le jeune délinquant et son amie (Marc Porel et Caroline Cellier) crée en moi un très profond malaise. Le jour-même, j’écris ma première nouvelle "La Proposition". Avec ce texte, inspiré du film Une Histoire immortelle d’Orson Wells avec Jeanne Moreau, s’ouvre une très longue période de dix ans pendant laquelle je vais être pris d’une frénésie d’écriture.
Pendant ces dix années, je suis littéralement (et littérai-rement) possédé par une source qui ne me laisse jamais en paix. Au début de cette phase, je fais des études de Sciences économiques et de Sciences politiques à Paris, puis, en 1976, j’entre à la Société Française de Production. Pour autant, la source ne tarit pas. Il me faudra en fait attendre l’écriture de mon premier roman, La Partition de Morgenstein, en mai 1981, pour que cette production s’arrête. Tout semble être dit.
Tout au long de ces années, inlassablement, je réécris ces nouvelles pour les corriger, avec une obsession : mais d’où me vient l’inspiration de textes aux univers si différents ?
L’ordinateur portable n’existe pas encore et ce travail de correction se fait à la main. J’ai le sentiment qu’il n’en finira jamais. Et ce n’est qu’en 1985, avec l’achat de mon premier MacIntosh que je peux enfin donner à tous ces textes une forme définitive.
Lors de ma crise du milieu de vie, en 1990, je détruis tous mes écrits, qui me paraissent exprimer une insupportable solitude, une insupportable détresse, avec lesquelles je veux en finir. Ils passent à la trappe comme tous les objets qui m’entourent.
De cette grande phase d’auto-destruction, les nouvelles sont les seules traces que je regrette ensuite. Heureusement, grâce à la SACD*, où certaines ont été déposées, et à des amis, qui les ont précieusement conservées, je peux retrouver la plupart de ces textes.
Ces textes ont toujours été pour moi énigmatiques. Ainsi, "Le Temple" est un curieux exemple d’écriture automatique. Un après-midi de juillet 1971, j’assois à ma table de travail et je commence à écrire cette phrase : « J’entrais par hasard dans le temple, répondant comme à son appel ». Tout le texte vient ensuite d’un jet. La fameuse phrase a disparu de la version finale.
Je me suis longtemps interrogé sur le sens de cette étrange nouvelle jusqu’à ce jour de juin 1987, seize ans plus tard, j’ai découvert en lisant le livre de Patrick Drouot « Nous sommes tous immortels », qu’elle décrivait étape par étape le processus mental utilisé pour régresser dans les vies antérieures.
Au fil du temps, j’ai découvert que certaines nouvelles avaient un caractère prémonitoire. L’une d’elles, intitulée d’ailleurs "Le Phénix", contenait le scénario d’événements qui allaient se produire quelque temps plus tard dans mes relations avec mon entourage. S’il m’arrivait de la réécrire, avec de nouveaux personnages et de nouvelles situations, ces éléments nouveaux s’incarnaient plus tard dans ma vie. Comme ces situations étaient toujours dramatiques, j’ai préféré ne plus toucher à cette nouvelle. Je l’ai d’ailleurs détruite ensuite, par superstition !
Ces textes semblent ainsi plonger à la fois dans mon passé le plus ancien — au-delà de ma propre vie — et dans mon futur...
Et puis en 1981 vient le temps d’écrire un premier roman, "La Partition de Morgenstein". Je comprends alors que les dix années consacrées à écrire des nouvelles encore et encore n’ont été qu’un long apprentissage...